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Les AAO, une secte ?
J'ai été très marqué par mon passage chez les AAO dans les années 78/85 . Je le raconte par ailleurs. Plus je les rencontrais, plus j'avais envie de vivre comme eux, .... mais pas avec eux ! cherchez l'erreur !!
Hervé, l'auteur de ce qui suit, a été l'un d'eux pendant dix ans. Il a définitivement rompu les liens avec eux et ne souhaite pas que j'établisse le lien avec son blog d'ou ce texte est tiré.
La Commune fondée par Otto Müehl, célèbre peintre actionniste viennois, a débuté en 1969 en Autriche, d’abord à Vienne puis à Friedrichshof (FH), un hameau isolé près de la frontière hongroise Elle a duré 20 ans. Appelée AAO (puis « le Groupe » le principe de vie était le rejet l’organisation de la société capitaliste occidentale (« la petite famille ») et donc une communauté de biens matériels, une communauté sexuelle sans relation de couple officielle et un essai de communauté des enfants, qui ont gardé tout de même leur relation avec leur mère. Au début, crâne rasé et salopette pour tout le monde. On va chercher ses chaussettes dans la grande panière à chaussettes. En passant, si on veut, un petit tour sur le matelas à deux vite fait.
Années
70 : après Freud, Reich, Kerouac, Oneida, 68, etc., la mode est aux
mouvements alternatifs, aux communautés ; les jeunes veulent la libération
sexuelle. FH les fait venir et se
retrouve submergé. Que fait-on de tout ce monde ? Des groupes sur le modèle
de FH sont créés en Allemagne, en Suisse, en Hollande, en France. On est bientôt
500.
1988-1990 :
Scandales : Claudia devient la femme de Otto… Müehl (60 ans environ) a eu
une relation de couple avec Flo, une jeune fille dont il est tombé amoureux…
On parle de drogues dures pour le premier cercle… Faites ce que je dis, pas ce
que je fais. La commune hippie est devenue une organisation pyramidale
fascisante. Les groupes, les
fourmis, travaillent pour quelques privilégié(e)s à FH. Révolution avec
l’aide de l’extérieur et dissolutions des groupes devant tous ces excès.
Au début des années 90, Otto et Claudia Müehl sont accusés de pédophilie par les enfants du groupe devenus majeurs. Il a été condamné à 7 ans de prison. Il vit aujourd’hui au Portugal avec une trentaine de personnes dont une quinzaine d’adolescents.
Réponse de Otto Müehl à un journaliste, juin 2002.
Au début des années 80, il était populaire de poursuivre les cultes religieux. On mettait l’étiquette « secte » sur tout ce qui ne correspondait pas à la vision de l’église et de l’état. Nous avons dû alors abandonner les conférences publiques et la promotion de notre modèle social. Nous avons arrêté de faire de la thérapie avec les invités, de même que les cours de peinture et de danse alors que l’élite créative du groupe gagnait notre vie avec cela. Nous avons créer des entreprises à la place et collaboré avec des grandes compagnies d’assurance. Et nous nous sommes retrouvés piégés. Logiquement, les vendeurs d’assurance, de produits mobiliers et immobiliers contrôlaient eux-mêmes nos avoirs. La propriété collective a été confrontée au désir de posséder son propre appartement, de prendre ses propres vacances, d’avoir sa propre famille. Les vendeurs sont ceux qui ont souffert le plus sous la propriété collective et ils voulaient passer à la propriété privée le plus vite possible sans penser à pérenniser le groupe. A la fin des années 80, le climat du groupe s’est détérioré. Ils sont rejeté la propriété collective et la libre sexualité, tout en se drapant dans les habits post-modernes des valeurs conservataires : propriété privée, mariage et écoles publiques pour les enfants. Ils ont fait des réunions appelées « surmonter le passé » où ils ont plaidé pour l’abolition de la propriété collective et de la libre sexualité. Les femmes de la commune, économiquement indépendantes, avaient été nettement supérieures aux hommes en tant que pédagogues, artistes et dirigeantes. Après la dissolution de la commune, elles sont retombées dans le vieux rôle de ménagère de la famille nucléaire.
Dans le premier groupe expérimental de la commune de Friedrichshof, on a vu que certaines suppositions théoriques étaient fausses. Je pensais par erreur que le groupe en tant qu’expérience sociale et sexuelle, serait une sorte de remède pour les personnes en grande difficulté. Mais il s’est révélé que justement ces personnes-là, qui avaient un besoin urgent d’aide, sont celles qui furent les plus engagées dans la destruction du groupe.
La hiérarchie fut au départ une simple structure de respect et de mesure de la capacité artistique. Elle servit ensuite comme structure organisationnelle et enfin finit par devenir une affectation formelle du rang social qui n’avait plus rien à voir avec la réalité et qui empêchait le contact naturel entre individus.
Je suis contre les organisations. Bakounine disait : « toutes les organisations centralistes conduisent nécessairement à l’oppression de l’individu ».
En 1991, on est arrivé au procès contre moi en Autriche. Il n’y avait alors plus rien pour empêcher la dissolution du groupe. Je suis ressorti de la « poubelle » de l’état, en vie et âgé de 72 ans, avec la maladie de Parkinson et aveugle d’un œil. A cause de l’erreur d’un médecin du centre de détention qui a sorti ses agressions contre moi, un acte manqué, de la part d’un membre du parti d’extrême droite de Heider.
Aujourd’hui, en 2002, je vis dans l’Algarve au Portugal depuis 4 ans. 15 adultes et 12 enfants forme une nouvelle communauté. Nous avons appris de la grande commune expérimentale que le groupe doit acquérir un cadre familier dans lequel chaque personne connaît l’autre, avec les relations personnelles comme base de la vie collective.
Dans l’ "État" futur, j’imagine une connexion interactive entre de petits groupes autonomes et ce qu’ils feront ensemble sera sur une base volontaire. Aucun superflu ne sera financé, pas de fonctionnaires, pas de police, pas de ministre de la justice. Les groupes de famille sont autonomes et règlent leurs affaires eux-mêmes. C’est clair pour moi : c’est une théorie. La recherche dans la pratique montrera où le chemin va.
Otto Müehl
(article paru dans la revue Sexpol n°10, novembre 1976, pages 9 à 15)
L'A.A. Kommune - A.A. pour « action-analyse -, vous connaissez pour avoir sans doute lu dans Sexpol n° 8 le témoignage direct qu'en rapportait un ami grenoblois, Stéphane Gin. Témoignage pour le moins négatif, même si des aspects positifs étaient relevés. Aussi ne fûmes-nous pas étonnés que des « communards AA » nous fassent savoir leurs réactions tout en nous proposant d'en parler plus longuement. Ce qui fut fait en juin dernier à Sexpol même avec quatre membres de la commune de Genève.
• Tiens, vous fumez...
- Louis : On fume un peu...
- Catherine : C'est-à-dire qu'on a arrêté de fumer il y a une
semaine exactement ; on a déjà arrêté plusieurs fois et puis là, comme on est
loin de la commune, c'est aussi vachement plus difficile.
• Vous ne fumez pas là-bas ?
- Louis : ...on fume tout en étant parfaitement conscients de
ce que ça veut dire fumer mais, effectivement, de temps en temps on se laisse de
nouveau aller à fumer ; la plupart des gens de la commune étaient de gros
fumeurs et maintenant le sont beaucoup moins.
• Et à part le tabac ?
- Louis : Pratiquement rien ; il arrive de temps en temps que
si quelqu'un nous amène un peu d'herbe, un truc comme ça... C'est exceptionnel.
• Ce n'est pas interdit ?
- Judith : Rien n'est interdit ; c'est le seul endroit au monde
où l'on puisse faire absolument tout ce qu'on veut.
- Louis : II n'y a pas d'interdictions, pas de règlement, rien.
• Qu'est-ce que c'est « faire tout ce
qu'on veut » ?
- Judith : On a beaucoup de mal au début à s'imaginer qu'on
peut faire tout ce qu'on veut ; on a beaucoup de mal à savoir ce qu'on veut.
- Louis : Quand tu sais ce que tu veux et que tu vis dans un
groupe de 25 ou 40 et même 80 personnes, il y a des moments où tu peux emmerder
les gens ; à partir de ce moment-là, comme un de nos principes c'est de tout
dire — ou ne rien cacher —, c'est clair qu'à chaque moment tu peux avoir en face
de toi une personne qui te dit que tu l'emmerdes ; ça peut même être tout le
groupe ; là il y a un affrontement ; c'est à toi de savoir à quel moment tu fais
un truc hostile au groupe, ou même nuisible selon que tu n'as pas conscience
d'une certaine agressivité en toi. Par exemple, le type qui décide tout seul
d'aller au cinéma et qui prend vingt balles dans la caisse : il peut le faire,
personne ne va l'empêcher ; mais il y a de fortes chances qu'après on va lui
dire : pourquoi t'en as parlé à personne ? Qu'est-ce que ça signifie ? Parce
qu'il n'est pas seul à vivre. Alors à partir de ce moment-là, si le type
reproduit en lui une situation de son enfance où il serait parti au ciné sans la
permission de son papa et de sa maman, il risque fort de croire très vite que le
groupe l'empêche d'aller au cinéma.
- Judith : Un des principes fondamentaux de la commune, c'est
de tout montrer de ce qu'on est, exprimer toutes ses émotions. En cachant des
choses, on s'écarte du groupe, on peut devenir très asocial. C'est là que doit
intervenir la pratique de selbsdarstellung (s d l en abrévié) qui veut
justement dire se montrer entièrement soi-même, s'exprimer.
- Catherine : Au départ on fait des sdl le soir ; on est tous
en rond, une personne va au milieu et s'exprime ; mais le but c'est vraiment de
s'exprimer toute la journée. Et moins on a d'agressivité, plus on peut
s'exprimer de façon positive, de façon sociale - même dans la rue et dans la
société.
• Chacun son tour, voulez-vous nous dire
pourquoi vous avez rejoint la commune, à quel moment vous avez pris cette
décision, depuis combien de temps vous y êtes, etc.
- Louis : Moi, j'ai entendu parler de la commune en juillet 75
lorsque la copine avec qui je vivais dans une communauté est partie là-bas ; et
puis quand j'ai lu les premiers articles sur la commune, j'étais très très
sceptique : je croyais moi aussi que c'était un truc très sectaire et je ne
voulais pas en entendre parler. Et puis, je vivais seul après avoir été marié.
J'avais pas mal de difficultés avec les bonnes femmes ; je ne me sentais pas
très bien, je ne voulais pas reprendre une expérience de couple ; la libre
sexualité dans cette société est très difficile à vivre : jalousie, relations
pratiquement insolubles... Et puis j'y suis parti, sans vraiment savoir ce que
j'allais y trouver ; j'y suis allé une première fois trois jours et j'ai vu 50,
60 personnes qui vivaient ensemble de manière totalement géniale ; ça m'a
complètement flashé1, je me suis dit : il y a vraiment un truc qui se
passe, faut que je revienne. J'ai eu effectivement très peur : c'est la première
fois que je me trouvais dans un groupe comme ça, très constitué ; se joindre à
60 personnes, c'est pas facile, ça demande beaucoup de travail sur soi-même. Un
mois après je suis revenu passer trois semaines et puis les copains de Genève
venaient, à six-sept, de commencer une nouvelle commune. Et j'ai fait mon choix
: je ne voulais plus continuer à bosser comme une bête... J'ai 27 ans.
• Que faisais-tu comme boulot ?
- Louis : Architecte. Depuis pas mal d'années je faisais des
critiques sur le système de production, les rapports entre les gens...
• T'étais militant ?
- Louis : Ouais, j'ai milité pas mal, tous azimuts... Au début
socialiste libéral, pour me durcir de plus en plus, avec les trotskystes, etc.
Pour finir, je traînais mes savates dans les milieux anarchistes, sans grande
conviction.
Quand j'ai vu ces gens qui arrêtaient de théoriser d'abord pour mettre en
pratique quotidienne ce qu'ils voulaient vivre, c'est-à-dire vivre en propriété
collective, bannir la propriété privée, ne plus rentrer dans ces histoires de
couples et être capable d'avoir des rapports sexuels égaux avec toutes les
bonnes femmes d'une commune... j'ai voulu le faire et je suis rentré dans le
groupe de Genève, et j'y vis depuis.
- Judith : J'ai 18 ans ; ça fait seulement quatre mois et demi
que je suis dans la commune et je me rends compte que j'ai déjà énormément
changé. J'y suis allée d'abord pour des raisons assez... louches. Je viens d'une
famille marginale, totalement libérale, gauchiste : mes parents sont très
jeunes, font du cinéma, etc. J'ai arrêté d'aller au lycée très tôt car ça me
faisait complètement chier ; je faisais ce que je voulais...
• ... déjà !
- Judith : En fait' j'étais très intéressée par n'importe
quelle thérapie, je voulais partir à Los Angeles pour faire une thérapie primale2
; et puis je ne savais pas très bien comment me tirer de mes parents : c'est des
gens que j'étais plus ou moins obligée d'aimer puisqu'ils allaient dans mon
sens. Au fond, j'étais très paumée, j'étais à la recherche de n'importe quoi,
comme ça. Et je suis arrivée dans la commune à Noël, par hasard, parce que j'en
avais entendu parler. J'ai été très bouleversée, par ce que j'ai vu, mais sans
bien prendre conscience de ce que c'était. J'ai compris que c'était un moyen de
faire quelque chose ; ça m'a alors suffi. Depuis, j'ai beaucoup changé :
beaucoup moins intellectuelle, moins axée sur la thérapie, etc. ; je comprends
beaucoup plus l'importance de la sexualité, de la propriété collective. Je n'ai
plus du tout la même personnalité qu'avant.
- Thierry : II y a un moment où je suis venu à Sexpol parce que
je m'intéresse aux idées de Reich ; j'ai des idées libertaires aussi ; je
m'intéressais à des projets de communes. J'ai su que la Commune AA existait tout
à fait par hasard, par un copain qui y était allé, sans y avoir rien compris ;
il m'avait dit : ...oui, euh, ils ont les cheveux coupés comme les Hare Krishna3.
J'ai lu leur brochure et ça m'a beaucoup intéressé ; mais ça me paraissait
complètement intellectuel ; alors je me suis dit faut que je vérifie. J'ai
téléphoné à Vienne et puis j'y ai été, pendant dix jours. Alors là, ça n'a plus
été du tout intellectuel ; il y a eu beaucoup de choses en moi qui ont éclaté
complètement. Maintenant, pour parler de la Commune de Genève, c'est difficile
parce que je n'y suis que depuis quinze jours et qu'il n'y a pas encore grand
chose de bougé dans ma personnalité ; je suis encore complètement intellectuel,
complètement foutu par ce que j'ai vécu avant, aussi bien dans mon enfance
qu'après. Mais j'entrevois pas de vivre autrement que là-bas parce que,
vraiment, je peux sortir tout ce qu'il y a en moi qui m'a aigri, démoli, pourri
; je peux commencer à sortir toute cette merde et essayer à vivre mieux. J'ai
aussi 27 ans.
• Tu bossais avant tout ça ?
- Thierry : Non, j'étais au chômage, j'étais chauffeur de taxi.
• Mais, t'es pas venu nous voir une fois
avec ton taxi ?
- Thierry : Bah si !
• J'y suis ! T'avais les cheveux longs...
(rires) je ne t'avais pas reconnu, tu t'es fait comme une
esthétique nouvelle...
- Thierry : C'est-à-dire qu'avant j'avais une esthétique ;
maintenant je suis..., je suis moi-même : comme dit Catherine, j'ai une tête
d'âne !
- Catherine : Moi, je vivais chez ma mère, j'allais au collège
-j'ai 18 ans. Je me faisais chier ; j'étais complètement incapable de vivre avec
des gens ; je projetais nos histoires sur tout le monde que je voyais comme mes
parents : qu'ils allaient me rejeter et tout. J'avais jamais baisé ; je ne
voulais pas en entendre parler : j'étais exactement comme ma mère. Tout d'un
coup, dans la commune, j'ai eu la possibilité de baiser ; au début, j'ai pas du
tout voulu. Maintenant ça va de mieux en mieux. C'est super.
Je suis venue à la commune pour une histoire de thérapie aussi ; je voyais que
ça et pas du tout le projet social ; j'étais très asocial, je ne pensais qu'à
moi, à me guérir de mes histoires comme ça. Après j'ai compris beaucoup plus de
trucs, que ça ne servait absolument à rien de me soigner moi et ne pas vivre
avec les autres.
• Bon, maintenant à nous de vous
asticoter. Commençons par les tiffes, c'est ce qui se voit tout de suite. Alors,
la boule à zéro, ça veut dire quoi ? Est-ce une décision du groupe ? Pourquoi ?
- Judith : Parce qu'on est très beaux comme ça !...
- Louis : II y a une histoire, qui est très simple. A Vienne,
au début, ils avaient les cheveux longs, la barbe et tout, selon la mode des
marginaux. Et puis un beau jour, alors qu'ils travaillaient au champ, qu'ils
construisaient leur village, il y en a un - et je ne crois pas d'ailleurs que ce
soit Otto lui-même qui ait décidé, contrairement à ce qu'il disait dans Sexpol -
y en a donc un qui a dit : c'est complètement con cette histoire de cheveux, on
les a crasseux, on se les coupe ! Tout ça sans présager de ce que cela
signifiait au fond. Deux ou trois se sont coupés les cheveux ; les autres ont
pas voulu en rester là et en ont fait autant, et particulièrement les filles qui
ont dit : c'est quoi, cette histoire des hommes qui se coupent les cheveux,
pourquoi pas nous aussi ? Et tout le monde l'a fait, en manière de gag en même
temps qu'avec un but pratique. C'est à travers cet acte plutôt gratuit, à part
son côté pratique, que s'est engagée toute une réflexion sur la signification
des cheveux : on s'apercevait de toute leur importance par rapport aux masques
qu'on se donne, à la féminité, aux symboles sexuels, l'érotisme, etc. Pour les
types aussi : le masque qu'on se donne, l'identification à un certain milieu, se
donner un visage, une apparence de personnalité. Ils se sont aperçu que les
cheveux étaient donc un truc très très important, qu'on ne se les coupe pas
facilement sans conséquences sur sa propre personne. Une fois ce stade dépassé,
les cheveux n'ont plus la moindre importance ; c'est devenu vachement pratique :
en ce moment, on retape notre maison en France, on travaille très dur, on
transpire ; dans la thérapie on transpire beaucoup aussi, on vomit, et si, à
chaque fois on devait se mettre un filet dans les cheveux pour pas que ça traîne
dans la cuvette de vomi... Pour la baise aussi, on s'est aperçu que...
• Est-ce moins fictif de se donner une image en se coupant les cheveux
que de s'en donner une autre en les laissant pousser ?
- Louis : Quand tu te coupes les cheveux, tu t'enlèves une image, tu t'en donnes
pas une...
• ..Mais si tu laisses faire, ça pousse
tout seul ; dans votre cas, il faut une intervention.
- Louis : Tous les gens qui ont les cheveux longs interviennent
aussi.
• D'accord : laisser-faire c'est aussi une
façon de faire ; mais il y a une différence entre le « va-comme-ça-pousse » et
la boule à zéro des militaires. A l'armée - moins maintenant peut-être que les
gauchistes revendiquent sur ce chapitre - c'est la brimade « initiatique » ;
pour les bizutages c'est aussi souvent cette forme de castration symbolique ;
même chose pour les photos anthropométriques, etc. Tout ça n'est pas neutre et.
de ce point de vue, votre réponse n'est pas satisfaisante.
- Louis : Avec cette différence qu'on n'est ni au bizutage, ni
à l'armée, ni chez les Hare Krishna...
- Thierry : Moi, si j'ai coupé mes tiffes et ma barbe, c'est
pas du tout pour des raisons d'hygiène mais pour abandonner mon personnage
d'intellectuel gauchiste ; j'ai voulu voir ce que j'étais vraiment. Je me
dissimulais derrière mes cheveux comme derrière des mots ou même des lunettes.
• T'as l'air d'en avoir soupe aussi des
intellectuels... Qu'est-ce que c'est pour toi, un intellectuel ?
- Thierry : C'est se cacher derrière les mots pour ne pas
exprimer l'émotion.
- Louis : Dans la commune, il y a des ouvriers et des
intellectuels ; il se trouve que les ouvriers ont subi des lésions propres à
leur éducation et à leur milieu, des lésions graves, dans une certaine mesure
plus graves que les nôtres - mais finalement moins hypocrites que dans certains
milieux libéraux où on a l'air de ne pas oppresser les enfants alors qu'on les
réprime à tour de bras ; on s'est aperçu que les enfants d'intellectuels et de
bourgeois ont beaucoup plus de peine à exprimer leurs émotions, à être
spontanés. Les ouvriers qui sont avec nous et leurs enfants sont beaucoup plus
émotionnels ; quand ils sentent quelque chose ils le disent sans ambages. Moi,
comme Judith et Catherine, on est des fils de bourgeois et on s'est aperçu qu'on
avait à surmonter 20 ou 25 ans d'éducation, de polissage destinés à nous
empêcher de nous exprimer, de crier pour, au contraire, tout expliquer avec la
tête ; si bien que la tête, elle est complètement détachée du reste du corps.
• Ce que tu nous dis là paraît un peu «
maoïste », dans le sens ouvriériste : l'ouvrier, et lui seul, est spontané ou
capable de l'être. Les blocages des ouvriers « valent » bien ceux des intellos ;
il ne s'agit pas de faire la séparation symétriquement inversée « corps-tête ».
- Louis : Je veux dire que lorsque les ouvriers sortent quelque
chose d'eux, ce n'est pas pour les remettre à leur place d'une manière purement
cérébrale.
• Pour en revenir aux tiffes — et
peut-être pour en finir aussi — pouvez-vous nous expliquer à quoi correspond ce
que vous appelez « le refus de séduction érotique ?
- Judith : On veut parler des moyens de séduction artificiels : se maquiller,...
• Les cheveux, c'est artificiel ?
- Judith : Non, mais on en a fait quelque chose d'artificiel :
se faire des mises en plis, se coiffer, et puis se maquiller, porter de belles
robes et tout. Quand on sera débarrassé de ça, personne n'aura plus besoin de se
raser les cheveux.
- Thierry : A ce moment-là on pourra se les laisser repousser
et redevenir érotiques.
- Louis : Quand les gens en auront envie, ça sera autre chose ;
ce qu'on dénonce là c'est le rôle totalement artificiel. Maintenant, ça fait un
bon moment qu'on parle de ça — non pas que ça me gêne, sinon que c'est quelque
chose de totalement secondaire dans la commune.
- Judith : En fait, les gens se fixent là-dessus parce qu'ils
ont l'impression qu'on les force.
• Le témoignage publié dans Sexpol donnait
quand même cette impression.
- Louis : Je n'étais pas là mais je n'y crois pas.
• Mais ce refus de séduction érotique ?
- Louis : Pourquoi avoir recours à ce genre d'artifice pour
avoir un potentiel érotique ? J'ai autant envie de baiser avec elle, comme elle
est ; je sens très bien quelquefois que j'ai envie de baiser avec des bonnes
femmes qui ont des cheveux longs mais qu'à ce moment-là je suis attiré moins par
la personne telle qu'elle est vraiment que par sa parure, totalement pompeuse.
On est capable d'être excité et excitant sans parure, ça je le garantis ; rien
qu'avec notre corps, très spontanément, très simplement.
- Judith : Nous, en apprenant à nous montrer et à tout
exprimer, on devient très excitantes ; quand on a vraiment envie, on le montre,
on montre tout ce qu'on est, on montre son corps, toutes ses excitations.
• Revenons aux reproches exprimés dans
Sexpol. L'un d'eux disait notamment : le savoir bio-énergétique est vendu très
cher. Qu'en est-il ?
- Thierry : Moi, j'ai payé 1500 francs pour un mois ; j'ai
besoin d'un certain temps pour pouvoir m'engager à fond dans la commune, vu que
je vis en relation de couple depuis neuf ans, que ma femme n'est pas venue avec
moi à la commune et que je suis très « fixé » sur elle. Et je trouve
parfaitement normal d'avoir payé ça car même quelqu'un de très enthousiaste
peut, à la suite d'un très grand blocage, partir subitement ; il a donc vécu en
parasite aux dépends de la commune. Là, je paie ma pension et aussi une partie
des travaux d'aménagement ; si je me casse j'aurais au moins été utile à quelque
chose. Je trouve ça très bien.
• Tu vas payer 1500 francs pendant combien
de mois ?
- Thierry : Je sais pas..., le temps pour me décider de tout
mettre en commun avec eux. Si je veux pas payer c'est fort simple, je mets tout
en commun avec eux.
• Qu'est-ce que tu mets à ce moment-là ?
- Thierry : Tout ce que j'ai puisque c'est la propriété
collective ; si j'ai rien, je mets rien ; si j'ai beaucoup, je mets beaucoup.
• Si t'as rien ou si t'as beaucoup, quelle
différence ça fait par rapport à ton statut de communautaire ?
- Thierry : Aucune. Dès le moment où je deviens communard, je
profite de tout ce que possède la commune.
• Et si tu t'en vas, tu retrouves ton blé
?
- Thierry : Non. Bien avant d'aller à la commune AA, j'ai vécu
en commune et je sais que si quelqu'un apporte du fric, même pas mal de fric, si
on veut pas que la commune risque de se casser la gueule, il faut partir du
principe que ce fric est abandonné à la vie commune.
- Catherine : De toutes façons, les gens qui veulent rentrer
dans la commune font un mois d'essai à Vienne et un autre à Genève.
• Comme chez n'importe quel employeur...
Mais les gens qui ne peuvent pas payer tout en paraissant avoir de solides
motivations, qu'est-ce qui leur arrive ?
- Louis : C'est cas par cas qu'on voit ces situations ; jusqu'à
présent ça ne s'est jamais trouvé qu'on dise à quelqu'un : tire-toi, t'as pas de
ronds. Ça n'existe pas.
• Quels sont les moyens économiques de la
commune ?
- Catherine : On a un secteur productif : un magasin, une
entreprise de transport et de déménagement ; et puis on va ouvrir un bistrot.
- Louis : A l'origine, on est arrivés avec tous nos biens, pas
seulement de l'argent mais des fringues, des meubles, bouquins, disques, etc.
qu'on a commencé à revendre ; puis on a acheté deux petites camionnettes pour
faire des déménagements ; et on a très peu de besoins — on va pas au bistrot, ni
au cinéma, on ne boit pratiquement pas d'alcool, sauf quand on nous en offre ;
on bouffe bien mais sans luxe. Maintenant, on cherche une deuxième « arcade » —
c'est une boutique — où on va vendre des jeans et des trucs comme ça. C'est du
commerce mais c'est un moyen de gagner de l'argent et d'avoir des contacts avec
l'extérieur.
• Comment sont réparties les tâches, le
boulot, etc. ?
- Judith : D'après tes envies ! Concrètement, tous les soirs il
y a une liste qui passe ; et il y a des responsables pour chaque truc ; par
exemple, Louis, pour l'instant, est responsable de la maison qu'on est en train
de construire, en France, juste à la frontière.
- Louis : Oui, on retape la maison ; y aura un petit restaurant
et on va peut-être remettre en route un four de village à côté ; on fera du pain
pour nous, le resto et aussi pour le village ; on montera peut-être aussi un
atelier de sérigraphie. Le principe, c'est qu'à chaque fois qu'on monte une
production, on essaie qu'elle soit utile pour nous et pour l'extérieur.
- Judith : II y a une forte organisation dans la commune : tout
le monde a une responsabilité avec faculté d'en changer selon les désirs ; il y
a un chef d'organisation qui supervise tout, puis des responsables des
différentes productions : magasin, transport, publicité, bistrot, etc. ; puis
des plus petits responsables, au jour le jour, pour la cuisine, etc.
• En somme, au lieu d'aller travailler
chez les autres, vous prenez à votre charge de faire tourner votre entreprise
sur le modèle capitaliste, y compris avec ses hiérarchies.
- Louis : C'est vrai, on s'entend vraiment comme une entreprise
de production, exploitée par nous-mêmes et dont on est tous propriétaires ;
c'est un exemple parfait d'autogestion.
• Ouais... De toutes manières c'est abusif
de dire que votre principale activité c'est, toujours selon le témoignage paru
dans Sexpol, « la baise et la musique »...
- Louis : Ah oui ! C'est tout à fait faux. La principale
activité, c'est la communication, c'est-à-dire : la baise, la musique, le
travail, la cuisine, tout. Baiser, c'est clair que c'est vachement important.
• Qu'est-ce que vous entendez par travail
?
- Louis : Au sens courant, il n'y a pas de travail en ce qui
nous concerne ; pour nous c'est participer à la vie de la commune, c'est autant
réparer une étagère, faire un déménagement ou bien la cuisine.
• Ça peut même être emmerdant ?
- Judith : Non, justement parce que le travail est complètement
différent ; avant je détestais travailler, maintenant je trouve ça génial parce
que quand je travaille, je communique complètement avec les personnes de mon
entourage ; on fait aussi des sdl en travaillant ; c'est pas du tout « sérieux
». Et puis notre forme d'organisation nous permet de travailler quand même
beaucoup moins ; pour l'instant on travaille à peu près autant que tout le monde
parce qu'on a des travaux en cours, mais en principe on ne devra plus travailler
que quatre heures par jour.
- Louis : Ce qui doit être clair, c'est qu'il n'y a pas de
dissociation entre travail et vie quotidienne ; c'est pas du travail
astreignant.
• Vous êtes donc une trentaine à Genève;
avec quelle répartition des sexes ?
- Judith : C'est à peu près égal. On ne vit pas en couples ; il
y a autant de partenaires sexuels qu'il y a d'hommes et de femmes ; tu dors avec
qui tu as envie chacun demande avec qui il a envie de dormir ; c'est pas les
hommes qui demandent plus que les femmes, je dirais même le contraire : les
femmes ont plus d'initiatives de ce côté-là que les hommes. On se choisit comme
ça pour la nuit et à côté de ça tu peux baiser avec qui tu veux, autant de fois
que tu veux dans la journée, même en travaillant.
• Vous dormez toujours par couples ?
- Louis : On dort dans les dortoirs ; enfin on est parfois
cinquante à dormir dans la même chambre. Mais les lits sont par couples ; de
toutes façons quand on baise, on baise à deux ; baiser à trente-six, non, on n'a
qu'un seul sexe !
• Ça se fait quand même : les partouzes ;
mais pas chez vous donc...
- Louis : Quand tu dors à côté d'un autre couple, c'est clair
que tu communiques et tout ; mais baiser délibérément à plusieurs, non, ça ne
nous vient pas à l'idée. Au moment où tu baises, tu communiques intensément avec
une autre personne.
- Judith : Ça arrive parfois quand même mais ça reste un jeu
assez superficiel.
• C'est un point qui a été discuté ?
- Judith : ...on fait les choses quand ça vient ; alors la
discussion a lieu après, quand tout à coup quelqu'un dit : ouais, hier soir il
s'est passé ça et ça, et on en discute.
• Et les relations homosexuelles ?
- Louis : Ouais... Enfin, on a découvert dans la thérapie qu'on
avait tous un potentiel homosexuel très très fort que nous on considère, entre
guillemets, comme une « maladie » — mais là on pourra en rediscuter — et il y a
des rapports homosexuels, ça arrive ; mais ils sont pris en tant que l'une des
nombreuses névroses subies dans notre enfance ; c'est-à-dire que t'as des gens
qui sont homosexuels, d'autres qui le sont plus ou moins, c'est pas une maladie
particulière plus honteuse, plus horrible qu'une autre, c'est notre maladie
d'enfant de la petite famille, d'enfants névrosés par la famille et la société.
- Judith : En dehors de ça, l'homosexualité n'est pas bannie,
au contraire : quand on se rend compte qu'on a des rapports homosexuels ou qu'on
en a envie, on apprend à l'exprimer le plus fortement possible, à comprendre
bien à fond, à s'en distancer et à rire avec, à jouer ; pas à être complètement
culpabilisé ou totalement pervers.
- Louis : Si quelqu'un éprouve vraiment le besoin de passer à
la pratique homosexuelle, personne ne va l'en empêcher ; c'est lui-même qui fera
son expérience et se rendra compte de ce qui lui arrive...
- Judith : ... mais sans culpabilité spéciale ; c'est pas un
banni ; c'est pas une tare ni quelque chose d'honteux ; pour nous il y a
démystification, dédramatisation de toutes les maladies.
• En quoi peut-on dire que votre sexualité
s'est modifiée ?
- Louis : Personnellement, j'ai vécu six ans de mariage avec
une sexualité pas très satisfaisante mais avec des moments bien et des moments
moins bien ; quand je suis rentré dans la commune, dans un premier temps, ça a
été une libération totale : pouvoir baiser avec des tas de femmes, c'était
génial ! Puis il s'est trouvé qu'à travers la thérapie j'ai senti monter de plus
en plus fortement une agressivité folle contre les femmes, une agressivité qui
remonte à ma mère et que j'ai reportée sur toutes les femmes. Et pendant une
période d'environ quatre mois, j'ai été incapable de baiser correctement, je
n'en avais même aucune envie : les femmes me dégoûtaient. Et j'ai vraiment senti
à quel point j'avais été sexuellement foutu en l'air par ma famille. Depuis
maintenant environ un mois je commence à avoir une sexualité beaucoup plus
chouette, une sexualité comme je n'en avais jamais connu ; c'est-à-dire que je
suis capable de baiser avec toutes les femmes de la commune en les voyant en
tant que femmes, pour ce qu'elles sont, et non plus comme avant où je baisais
avec des tas de fantasmes, où il fallait des symboles érotiques et des
circonstances particulières ; et en fait je baisais essentiellement avec ma mère
en projetant son image sur celle de la fille avec qui j'étais ; je me suis
souvenu, effectivement, que depuis l'âge de 14-15 ans, j'ai toujours eu cette
envie de baiser avec ma mère, sans avoir évidemment jamais pu le faire, ni pu
l'exprimer. Et c'est maintenant, après avoir pris conscience de cette
agressivité dirigée contre ma mère, que j'arrive à avoir une sexualité beaucoup
plus épanouie.
• Tu dis « baiser » avec toutes les filles
que tu veux. Et elles, elles veulent toujours ?
- Louis : On est tous dans une phase analytique et tous en
train de se guérir de nos névroses et il arrive qu'une femme ait pas envie de
baiser avec moi ; à ce moment-là elle le dit et si moi ça me touche, c'est que
ça me rend agressif contre elle, que te me sens refusé ; alors je peux
l'exprimer, je me fâche ou des trucs comme ça. En même temps, elle, elle peut
aussi bien sûr exprimer pourquoi elle a pas envie. Et à travers la sdl, elle
peut tout comprendre ; que, par exemple, son refus est venu de ce qu'elle
projette son père sur moi ; ou alors simplement que c'est le résultat de ses
lésions sexuelles, si on veut.
• Donc, selon vous, d'une part comme de
l'autre, un refus de « baiser » signifie qu'il y a un « problème » ? Ça veut
dire que tout individu mis en présence d'un autre, de sexe opposé, doit
s'accoupler ?
- Louis : Non, pas doit, mais je veux dire qu'on a
tous la capacité, la possibilité de communiquer sexuellement avec qui que ce
soit.
• Tu pourrais donc « baiser » avec
n'importe laquelle des filles de la commune, indépendamment des critères de
beauté, d'attirance ?
- Louis : Là aussi, les critères de beauté j'y ai cru pendant
des années et je m'aperçois aujourd'hui que la beauté, c'est un masque ; t'as
des femmes qu'on considérerait comme laides, - elles sont grosses et tout - et
puis en fait, qu'est-ce que ça veut dire être beau, être laid ? Moi, si j'ai pas
envie de baiser c'est que la femme en face de moi n'est pas « gael »,
c'est-à-dire ni excitée ni excitante. Et aujourd'hui c'est comme ça que ça se
passe : si il y a une fille de la commune qui a envie de baiser avec moi, j'ai
envie de baiser avec elle.
• Et s'il s'agissait d'une femme comme
celle-ci, qu'on voit dans le film de Fellini, Satyricon, (voir la
photo) tu la « baiserais » ?
(Rires)
- Louis : Là tu prends un exemple vraiment monstrueux ! Disons
que, par rapport à une handicapée, j'aurais encore de très très fortes
réticences, mais que je ne considère pas comme normales ; ce genre de dégoût, je
n'arrive pas à le justifier.
- Judith : Moi, je baiserais absolument pas avec tout le monde
— en ce moment.
• Mais c'est l'objectif, l'objectif
thérapeutique des Sdl ?
- Judith : Oui ! Une sexualité totalement épanouie qu'on puisse étendre à tous
les partenaires. Oui, alors, j'en suis sûre ! De plus en plus j'ai envie de
baiser avec le plus de mecs possibles ; mais c'est pas encore ça du tout. Moi,
j'ai commencé, à cause de ma famille libérale, à baiser à l'âge de 14 ans et en
fait j'étais complètement frigide ; je baisais, je baisais très bien, tout ce
qu'il fallait faire je le faisais..
• Qu'est-ce que ça veut dire « baiser très
bien » ?
- Judith : J'étais très technicienne, totalement technicienne.
• L'orgasme, tu connaissais ?
- Judith : Non, pas du tout ! Sauf entre 10 et 14 ans où
j'étais tout le temps très excitée et où je jouissais en me masturbant ; mais à
partir du moment où j'ai baisé dans la société, j'ai cessé d'être excitée ; je
le faisais pour faire plaisir à l'autre ; j'étais très objet sexuel, en faisant
croire que je jouissais, etc. Dans la commune, je suis restée un mois comme ça
et puis, depuis très peu de temps, je réussis à jouir à peu près à chaque fois.
Mais tout n'est pas résolu.
- Thierry : Moi, je suis dans une phase de début. J'ai en
particulier pris conscience de ma sexualité totalement perverse, pornographique,
malade ; une sexualité que je ne pouvais exprimer qu'à travers mes agressions
envers les femmes ; maintenant que ces agressions remontent à la surface, j'ai
plus du tout envie de baiser : pas excité ni excitable. Mais je me sens très
bien comme ça parce que c'est la première fois de ma vie que je me sens pas
forcé de baiser. Culturellement, je me sentais obligé de baiser parce que
j'étais un mec qui devait prouver sa virilité, qui bandait.
• Tu dis que tu n'as plus envie de «
baiser » avec des femmes ; ça veut dire que t'as envie avec des hommes ?
- Thierry : Un peu, mais c'est pas très fort.
• Et toi Catherine ?
- Catherine : Oulala ! Ben moi, si j'étais restée dans la
société, je crois que j'aurais jamais baisé. Et puis, voilà que je baise avec
presque tous les mecs ; mais je sens qu'avec certains mecs, ça me fait monter
une dose d'agressivité dingue : je projette sur eux, ou bien mon père ou bien
mon frère.
• Ce qui peut paraître gênant, c'est que
pour vous la « baise » serait seulement un moyen de se débarrasser, de se
nettoyer, de faire de l'hygiène. Ce n'est déjà pas si mal, direz-vous. Mais la
sexualité n'a-t-elle d'autre but qu'elle-même, c'est-à-dire le plaisir ?
- Catherine : Là, je parlais des choses négatives ; mais il y a
de plus en plus de mecs avec qui je prends mon pied en baisant, avec qui je
jouis, avec qui je communique complètement.
• II y a aussi des enfants dans votre
commune ; comment se font-ils ? Qui décide alors ?
- Catherine : Tous ensemble... Par exemple, il y a quelques
semaines, une fille a eu envie d'avoir un gosse ; pas immédiatement, non, mais
elle disait qu'elle se sentait capable d'en avoir un ; alors elle en a parlé à
tout le monde et les gens disent ce qu'ils pensent. Alors elle va choisir le mec
avec qui elle a envie de faire ce gosse ; et puis voilà.
• Donc il y a un père et, évidemment une
mère : des parents en somme...
- Louis : En général, la femme dans ce cas ne choisit pas un
type ; elle dit : voilà, avec untel, untel, untel j'aimerais avoir un enfant ;
elle va donc pas baiser avec un seul type pendant un mois pour être bien sûre
que c'est bien lui qui aura fait l'enfant, mais il y aura de fortes probalités
pour que ce soit celui qu'elle aura choisi.
• Toutes les femmes sont sous
contraception, et uniquement les femmes ?
- Catherine : Oui, on applique la nouvelle méthode des
températures...
• Hein ? nouvelle méthode !!!...
- Catherine : Ouais, enfin, on essaie de l'appliquer mais on a toutes des
stérilets pour l'instant. On commence à faire des essais pour voir lesquelles
sont régulières. Et petit à petit on va enlever nos stérilets.
• Pourquoi ?
- Catherine : C'est beaucoup plus naturel sans.
- Judith : Moi, je suis incapable de faire cette méthode parce
que j'ai trop de problèmes sexuels pour ne pas avoir d'ovulations n'importe
quand. C'est les gens à Vienne qui ont commencé ça parce qu'ils ont remarqué
qu'ils étaient très réguliers dans leurs cycles. Ils ont un corps qui fonctionne
incroyablement mieux.
• Pas de contraception masculine ?
- Louis : Non. Momentanément quelquefois, quand il y a des
risques de maladies, on baise avec des capotes.
• Pas de vasectomie ?
- Louis : On n'a aucune envie de faire quelque chose
d'irréversible et on ne tient pas que des types, tout à coup, ne puissent plus
faire d'enfants. Ce qu'on aimerait bien vérifier, même d'ici quelques années,
c'est l'hypothèse selon laquelle une femme vraiment libérée de tensions, de
contraintes, etc., serait capable de sentir, sans même recourir au thermomètre,
le moment où elle est en ovulation.
• Maintenant, pour les enfants vivants,
comment ça se passe ?
- Catherine : On va parler de Vienne, parce que nous, à Genève,
pour le moment, on n'a qu'un enfant d'un an. A Vienne donc, la mère est toujours
disponible pour le gosse ; elle l'allaite aussi longtemps qu'il veut ; à part ça
il y a une liste où des gens s'inscrivent pour être avec le gosse le matin,
l'après-midi ou le soir ; pas pour le surveiller ou le garder comme ça, mais
pour communiquer, jouer avec lui, essayer de comprendre ses désirs et de le
satisfaire complètement sans qu'il ait besoin de hurler pendant une heure pour
se faire comprendre ; et puis la mère est là aussi.
• Et du point de vue de la sexualité de
l'enfant ?
- Louis : C'est une liberté absolument totale : la sexualité
infantile est reconnue et à aucun moment on intervient ; s'il a envie de se
tripatouiller le zizi pendant des heures il le fait ; il arrive même que s'il
prend beaucoup de plaisir pendant qu'on le lave, on continue ; et puis s'il en a
marre, on arrête. A aucun moment on n'intervient contre sa sexualité.
• Et pour ? Je veux dire en plus des simples caresses de toilette ; au
niveau de la sexualité des adultes en particulier.
- Judith : A Vienne, les enfants tètent encore leur mère à deux
ans passés et ça prend des aspects très nettement sexuels ; ça arrive qu'ils
bandent ; la mère est souvent nue et ne refuse absolument pas.
• Par rapport à l'inceste ?
- Louis : C'est un problème assez délicat ; nous, on considère
que le désir d'inceste vient de la répression de la sexualité de l'enfant ; un
enfant qui aurait vécu une existence sexuelle totalement saine, totalement
normale, ne devrait pas avoir de désir particulier de baiser avec sa mère. Mais
je pense que si le cas se présentait, il ne serait pas réprimé.
- Judith : Les enfants dorment avec nous, ils nous voient faire
l'amour, ce n'est pas caché du tout.
• Est-ce que vous êtes considérés par
votre voisinage comme des gens sales ?...
- Louis : Des tas de gens de passage disent : hou ! ce que
c'est crado chez vous ! Ils veulent dire que c'est en désordre : on vit à trente
dans quatre pièces, alors, une heure et demie après le ménage du matin, il y a
du bordel ; en fait il n'y a pas de saleté.
• Et vous-mêmes, quand vous n'êtes pas de
visite à Sexpol ?
- Louis : On est conscients des lésions anales qu'on a tous
subies par excès de propreté la plupart du temps ; alors on fait pas d'excès de
zèle mais on veut pas nager dans la crasse parce que t'attrapes vite des
maladies.
- Judith : Pour des raisons d'hygiène, on est obligés de se
laver très souvent ; on change de slip tous les jours ! On fait gaffe parce
qu'avec la libre sexualité, on chope vite des maladies.
• Vous en avez beaucoup ?
- Louis : Une blenno de temps en temps. C'est pour ça qu'on
exige des certificats médicaux des nouveaux arrivants et qu'on baise pas à
l'extérieur.
• C'est obligatoire ?
- Louis : Ouais.
• Sinon ?
- Louis : Si la personne ne le dit pas, ça veut dire qu'elle a
peur du groupe. Si elle le dit, faut qu'elle refasse les examens.
• Au niveau de la santé générale, pas
seulement vénérienne, comment êtes-vous ? Est-ce que vous avez des maladies ?
- Louis : Ce qu'il y a de fréquent, c'est des angines ; c'est
des maladies très très liées à la thérapie : tous les nouveaux chopent une
angine au bout de quinze jours — même nous on en fait régulièrement. A part ça,
des trucs psycho-soma-tiques, mais qui prennent parfois des proportions telles
qu'il faut recourir à la chimio-thérapie — c'est le cas d'un copain qui fait un
ulcère.
- Catherine : De plus en plus on devient sains ; mais quand la
cuirasse pète un petit peu, des émotions commencent à sortir et parfois se
bloquent.
- Louis : Depuis une année on n'a eu aucune maladie grave
disons classique ; on n'a eu que des maladies qui étaient évidemment
psycho-somatiques.
• Y a-t-il des maladies qui ne soient pas
psycho-somatiques ? Mais qu'est-ce que vous faites concrètement quand il y a un
malade ?
- Louis : L'angine, on la soigne comme une angine, c'est-à-dire
aux antibiotiques; enfin, quand c'est vraiment nécessaire ; autrement le bleu de
méthylène quoi...
• Maintenant, Otto Mühl, est-ce que c'est
vraiment le chef ?
- Louis et Judith, unanimes : Oui !
(rires).
- Louis : Mühl, c'est le type qui a fondé la commune à Vienne,
qui est manifestement la personnalité la plus avancée de nous tous — il a dans
les cinquante ans. Il est considéré comme celui qui a mis tout au point, qui
invente le plus et qui est tout le temps en train d'inventer ; il est ce que
nous on appelle le chef de la communication. A Vienne, c'est lui ; à Genève y en
a un aussi, c'est Cedric. C'est le plus sain qui est le chef, c'est évident.
• Est-ce qu'il a un, ou plusieurs
successeurs possibles, Otto Mühl ?
- Louis : Difficile à dire ; à Vienne il y a plusieurs
personnes très très positives, qui sont allées de plus en plus loin dans la
conscience de groupe, dans la thérapie, qui ont pratiquement résolu tous leurs
problèmes...
- Judith : C'est une hiérarchie de la conscience.
- Catherine : Quelqu'un qui est très positif, c'est sûr qu'il
sera beaucoup plus dominant.
• Donc, vous admettez l'existence de
leaders comme Otto Mühl.
- Louis : Absolument.
- Judith : Mais on pense que plus on ira loin, moins il y aura
de leaders.
- Catherine : C'est sûr que si on était totalement sains y
aurait aucun chef.
- Louis : II n'y a leader qu'à partir du moment où il est
choisi comme leader ; c'est-à-dire quand les gens se projettent positivement sur
lui. Il y en a qui se donnent un gourou, d'autres un bon dieu, d'autres des
chefs, etc.
• C'est la même chose tout ça ?
- Louis : Moi je pense que c'est à peu près la même chose.
- Judith : Pour moi, Otto c'est quelqu'un de très important
qui, à mon avis, en sait beaucoup.
• Quel contrôle exerce-t-il en tant que
chef de l'AAO, sur la commune de Genève ?
- Judith : Aucun. Il n'a aucun pouvoir.
• Et qui décide de l'appartenance d'une
commune à l'AAO ? N'importe qui peut faire une commune AA ?
- Louis : C'est clair que oui.
• Et ces « selbsdarstellung » ?
- Louis : Concrètement, ça se passe comme ça : toute la commune
se retrouve tous les soirs et chacun qui en a envie, en ressent le besoin, va au
milieu du groupe et exprime ce qu'il ressent. Ça se joue comme une espèce
d'opéra ; c'est-à-dire que tu exprimes d'une manière émotionnelle — au début ça
ne l'est pas toujours, mais ça le devient souvent — tout ce qui passe par la
tête, ce que tu sens, ce que tu as vécu dans la journée ou dans ton enfance : tu
te montres intégralement tel que tu es, en essayant de ne pas tricher, de ne pas
te donner un masque qui n'est pas le tien. Le but des sdl, c'est d'en étendre la
pratique à la vie quotidienne : d'être capable de ne jamais rien réprimer mais
d'exprimer toujours ce que tu sens, ouvertement.
• On voudrait aussi faire ça dans des
milieux d'affaires modernistes, du moins dans les moments dits de « créativité »
; en quoi vous vous en démarquez ?
- Louis, Judith : On ne sait pas ce que c'est ; le psychodrame,
j'en ai jamais fait.
• Justement, si c'était ce que vous faites
sans le savoir ?
- Louis : Ça ne peut pas être ça puisque le Sdl, c'est
totalement spontané et que ça ne recourt pas à des spécialistes qui sont là en
face de toi pour jouer un rôle - ce qui doit être le cas dans les psychodrames.
- Catherine : Le psychodrame, comme je le connais, c'est des
gens qui se rencontrent comme ça une fois par mois pour régler leurs petits
problèmes qui n'intéressent qu'eux ; et qui en profitent simplement pour
décharger ou essayer de décharger ce qui leur pèse et vivre encore plus dans la
société, sans la changer.
• Alors, comment intervenez-vous sur le
milieu extérieur ? Est-ce que la révolution, pour parler vite, vous intéresse ?
- Louis : Bah oui, elle nous intéresse,... mais nous on la
fait, on la vit quoi ; on ne la théorise pas, on ne fait pas des meetings pour
appeler les gens à la révolte ; on leur dit : venez vivre avec nous et puis vous
la vivrez, la révolution.
- Judith : La révolution on la fait d'abord chez nous, en nous
; c'est là qu'elle commence.
- Louis : Actuellement nous sommes plus de 200 en Europe à
vivre cette révolution ; ce n'est déjà plus un problème de communautés, mais
d'organisation, dans la perspective de vivre ça à 5, 10 000 et... le monde
entier.
• Comment traduire ça en termes politiques
?
- Louis : On a la vie la plus politique.
• Dans quel pays voudriez-vous vivre ?
- Louis : Les pays où on vit actuellement, où on peut vivre,
c'est ceux à régimes libéraux ; stratégiquement et par intérêt direct on les
soutient plutôt.
• Vous avez une idée de la façon dont vous
allez vieillir dans la commune ? Et puis, y resterez-vous ?
- Catherine : Vieillir, c'est se développer.
- Louis : On espère au moins atteindre 80 ans !
- Judith : Et on est sûrs de ne pas avoir de cancer !
Recueilli par Monique DELATTRE et Gérard PONTHIEU
un autre regard sur l'AAO
http://www.prevensectes.com/aao2.htm
(pourquoi, toujours attiré, je n'ai jamais voulu y entrer à part entière. NDW)
un autre regard sur Otto Müehl :
http://1libertaire.free.fr/OTTOMUEHL.html
(hé bé ! je l'ai échappé belle !!! NDW)