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Communauté de La Poudrière

 (Belgique - Bruxelles)

C'est en 1958 qu'autour du Père Léon, à partir de rencontres avec des croyants et des clochards, naît le projet de la Communauté de la Poudrière dans un quartier déshérité de Bruxelles, vers la porte de Ninove. Avec un objectif très précis, «être présent», avec la découverte de l'infortune, de l'amitié, dès le départ, il y a partage de la vie de chaque jour, ce qui permet de substituer à l'habituelle charité «travailler pour», une nouvelle forme de solidarité «travailler avec». 

Le projet prévoit donc de mettre en commun les vies de personnes et difficulté et d'autres qui ne le sont pas. Cela passe par des repas et un travail communs. Le logement est dans un même lieu, mais avec des espaces privatifs.

Cinq objectifs et quatre moyens

Avec la vie et les rencontres, se forge peu à peu une vision commune d'où naît une charte assez précise où sont fixés les objectifs et les moyens. 

Le premier objectif est la présence. Il s'agit d'être impliqué dans la vie d'un quartier populaire et défavorisé et non d'être replié sur la vie communautaire.

Le deuxième objectif est l'amitié qui doit permettre de grandir ensemble en vue d'un projet de changement de société. 

En troisième vient la justice. Alors que les riches deviennent plus riches et les pauvres plus pauvres, la communauté doit permettre d'agir contre ce phénomène. Cela passe par une redéfinition du travail.

En quatre, vient l'espérance ou utopie. C'est le refus de la fatalité de la situation présente, c'est de croire qu'il est possible de construire autre chose. S'appuyant sur le livre historique de Thomas More (en 1516), cette utopie passe par le «de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses moyens» chers aux libertaires et par le «un homme, une voix» du mouvement coopératif.

Le dernier objectif est l'ascèse qui consiste à adopter une vie loin des sollicitations et de la consommation pour ne retenir que l'essentiel, ne valoriser que ce qui mène, en soi, à la paix, au bonheur et prendre
conscience que c'est accessible pour tous et non pour quelques privilégiés. Pour atteindre ces objectifs, la communauté se dote de quatre moyens : le travail, la vie simple, la mise en commun et la fidélité aux personnes et aux objectifs.

La communauté voit le jour dans des locaux achetés au 62 rue de la Poudrière avec le soutien de l'église. Le noyau de base comprend deux prêtres et un
couple. Ce noyau entraîne progressivement beaucoup d'autres personnes. Les débuts sont hésitants, mais les premiers travaux sont déjà consacrés au déménagement et à la récupération. «La communauté, à travers ces objectifs, apporte un éclairage aux deux défis qui se présentent à notre société : l'exclusion qui conduit à la planète des exclus, la pénurie de sens qui nous conduit à une société dépressive et suicidaire».

Reprise d'une ferme de l'Arche

En 1963, ils apprennent qu'une communauté de l'Arche de Lanza del Vasto est en passe de fermer et vend une ferme située à Rummen. Alors que la réflexion a jusque là surtout porté sur la vie commune en milieu urbain, lieu dense en pauvreté, une réflexion s'ouvre sur l'isolement en milieu rural, la perte de solidarité. Rummen est situé à 75 km de Bruxelles. Le bail est finalement repris par la Communauté de la Poudrière, mais il faudra de nombreuses années avant qu'un noyau stable s'y installe et y développe une activité
agricole.

Jusqu'en 1964, les structures sont floues. Avec le développement des activités se posent la question de la propriété. A qui appartient le camion de déménagement ? Le statut adopté est celui de l'association sans but
lucratif (ASBL) au sein de laquelle personne ne peut revendiquer un quelconque titre de propriété. Cette association va au cours des années se rendre propriétaire ou locataire de plusieurs maisons de la rue de la
Poudrière : si l'aventure commence au 62 rue de la Poudrière, au fil des ans, elle s'étend sur le 58, le 60, le 64 et en face au 31, 35, 37, 39, 41 de la rue. Elle réunit à cela les 62, 64, 66 et 68 rue des Fabriques et le 7 boulevard de l'Abattoir. . -, Ces acquisitions progressives permettent d'accueillir et de loger de plus en
plus de monde, de développer une immense salle commune, des cuisines, des greniers pour la brocante, un garage, une buanderie, des ateliers, une salle de jeux... Pour chaque maison, l'association essaie de mettre en place deux sorties : une sur la cour commune, une directement sur la rue. C'est une forme symbolique pour matérialiser l'ouverture de la communauté.

En 1965, ils sont plus d'une soixantaine au repas. Comme le raconte Max Delespesse (1) (prêtre et jésuite proche de la communauté) : «tous les problèmes sont mis en commun. Chacun prend conscience d'une vie d'où l'idée de profit individuel est absente. Chacun est associé avec sa valeur différente. Plus personne n'est un 'individu'. Un peu sans doute comme dans une famille : les enfants grandissent, habitués à se compter comme des frères ayant part entière à tous les biens». Dans un débat interne, le Père Léon précise : «lors de la
mise en commun, un critère est sans cesse appliqué à tous les expériences faites, comme à tous les projets à entreprendre : réalisons-nous une communauté ? Témoignons-nous de la communauté ? Que faut-il
considérer comme réussite ou comme échec ? Qu'est-ce en somme que la communauté ? Nous la vivons comme nous la sentons. Nous sommes dans une expérience globale. Nous voyons bien qu'elle nous guérit de l'individualisme passé. Mais il nous faut la comprendre davantage, la réussir pleinement. Et montrer aux autres ce que nous sommes, ce que nous faisons»

Difficiles relations entre couples et individus

Le mélange des gens ne se fait pas sans problème. En particulier entre les
personnes «classiques» le plus souvent en couple et les gens en difficulté le plus souvent seules. Ainsi, en février 1967, à la mort de l'un des
fondateurs, les parents s'interrogent sur l'avenir de sa femme et de ses enfants dans le groupe. Une personne extérieure demande même à la mère si «ce sont les clochards qui vont élever ses enfants». 

Les couples demandent alors à pouvoir se réunir entre eux pour discuter seuls de l'éducation des enfants. Sous ce prétexte, c'est en fait une prise de pouvoir qui s'opère. La crise est surmontée mais non sans mal.
Malgré ses bonnes résolutions, en 1968 et 1969, de nombreux ménages quittent la Poudrière, l'équilibre entre célibataires et couples n'arrivant pas à voir le jour.

Jusqu'à l'été 70, le nombre de personnes reste restreint : moins d'une vingtaine avec une relativement forte présence religieuse (cinq prêtres). Cette question des couples va nécessiter d'aborder avec précision des
questions comme la sexualité, la fidélité, le sentiment amoureux. Les règles mises en place semblent plutôt rétrogrades (il ne faut pas oublier qu'on se trouve dans un encadrement religieux et il y a de ça une trentaine d'années) : réserve quant à l'expression du sentiment amoureux en public, nécessité de quitter la communauté pendant un temps pour tout nouveau couple qui se forme officiellement afin de souder le couple avant qu'il ne retrouve sa place dans le groupe, nécessité du mariage pendant cette période et attente d'un
an ou deux pour être sûr que le retour au sein de la communauté est bien le désir du couple et non de deux individus. Le couple dispose alors de son foyer au sein de la communauté. A cette époque, les divorces étaient encore rares. Si les personnes en séparation furent aidées par le groupe, là aussi le Père Léon leur demandait de quitter les lieux un temps afin de redéfinir leur démarche au sein de la communauté. Des cas d'homosexualité et d'infidélité se sont produits au cours des ans. Le Père Léon traitait l'affaire dans la discrétion demandant là-aussi un retrait de la communauté.

En 1976, la crise semble résolue et La Poudrière va très vite enfler : elle passe cette année à une cinquantaine de membres. Cela permet enfin d'utiliser la ferme de Rummen où s'installent deux couples et un célibataire et où d'autres personnes viennent ponctuellement aider lorsque le besoin de main-d'œuvre se fait sentir (récoltes).

Le sens de la communauté

Lors d'une rencontre fin avril 1968 (date symbolique), lors d'un colloque sur «Communauté et société» où participent des Belges, des Français, des Italiens, le Père Léon fait une intervention théorique qui définit la
communauté :
«La communauté par définition, part de la personne. Si donc chacun de nous
commence une communauté, elle sera autre parce que les personnes qui la composent sont différentes. La communauté idéale sera perpétuellement en marche, en mouvement, puisque les personnes se réalisent différentes grâce à l'autre et qu'elles évoluent. Au fur et à mesure que les personnes vont changer, la communauté va changer aussi. Tandis que, dans une société, constituée en vue de tel travail, de telle activité, de tel avoir l'union des personnes n'est pas exigée : par conséquent il faut l'intervention d'une loi imposée du dehors, et il faut qu'on se plie à cette loi.


(1) La communauté de la Poudrière, 1998, éd. Luc Pire (Bruxelles), p.54.


Il n'y a pas de communauté sans ces tensions que provoque le partage de ce qu'on est et de ce qu'on a. La communauté ne commence que le jour où, malgré ces tensions, on continue à se faire confiance, à tout supporter à tout espérer. Il arrive souvent que, lorsqu'on commence une communauté, on se sépare parce qu'il y a des tensions. C'est du dépassement de ces tensions que peut naître la communauté. Il faut admettre la désinstallation perpétuelle de la communauté. En effet, chaque fois qu'une personne nouvelle, qu'un ménage nouveau entre dans la communauté, celle-ci va changer. La société, elle, est régie par une loi imposée à laquelle les nouveaux adhérents doivent à priori se soumettre.

Est-ce que la communauté peut résoudre les problèmes d'ordre mondial que le régime sociétaire ne peut résoudre ? Oui, car la solution à ces problèmes se trouvera au moment où chacun se réalisera différent grâce à l'autre. Exemple: le problème racial aux Etats-Unis. Il n'y a pas moyen que le Blanc pense comme le Noir et vice-versa. La société les sépare en classes pour plus de facilité et pour un meilleur rendement. Seule, la communauté, qui unit les personnes, qui répartit les biens selon les besoins, peut les aider à être
différents l'un par l'autre. Aujourd'hui le monde entier cherche comment passer de la collectivité anonyme et sociétaire à la communauté. Nous sommes en marche vers cela, et cela, les communautés le réalisent déjà.
Il n'y a pas de communauté possible sans amour puisque seul l'amour peut permettre cette unité dans la diversité. Il n'y a pas possibilité de créer une communauté sans que chacun ne soit libre et n'ait le droit d'être libre.

Il n'y a pas d'amour sans liberté. Dans un foyer si l'un écrase l'autre, il n'y a pas de communauté possible. Les hommes veulent être libres. L'humanité cherche à devenir une vaste communauté de communautés : ça n'est pas une révolution, mais la révolution» (3).

Organisation des décisions

Le grand nombre de personnes qui passent un temps assez court impose assez rapidement la décision de mettre en place des moyens de pérennité pour que la communauté puisse se maintenir. On distingue alors les gens de passage et les 'engagés'. Pour s'engager, il faut être membre de la communauté depuis
au moins un an (puis deux ans quelques années plus tard) et s'engager à rester dans la communauté au moins encore un an. Cet engagement est volontaire et n'a rien d'obligatoire. Certains peuvent rester longtemps sans s'engager.
Les engagés, qui se réunissent une fois par mois, forment l'organe décisionnel fondamental et il fonctionne selon la règle intangible de l'unanimité. Un domaine lui échappe : l'accueil des nouveaux qui est confié
au Père Léon. Ceci est justifié par la nécessité de conserver le secret sur le passé parfois douloureux des arrivants. Aujourd'hui, le Père Léon est mort, mais un ancien membre a été choisi pour mener cette action très particulière qui échappe donc au collectif (Jacques depuis 1996). 

La règle de l'unanimité est très contraignante. Elle s'oppose à la règle majoritaire de nos démocraties. Elle se distingue du consensus (à l'origine : ensemble mettre le même sens à une décision) où l'on demande simplement à tous d'autoriser le sentiment majoritaire. Pour l'unanimité, il faut discuter tant qu'une personne n'est pas d'accord avec la décision. Cela donne parfois lieu à des discussions extrêmement longues comme l'aménagement de la salle commune (deux ans !). Mais à la Poudrière, on vous explique «qu'il faut s'attendre les uns les autres» (4). Le nombre de réunions est en évolution constante, de nouvelles formes naissant suivant les demandes exprimées.

Si les engagés prennent seuls les décisions, ils doivent néanmoins tenir compte des avis de l'ensemble des membres. Ainsi, depuis 1973, chaque réunion est suivie d'une réunion spaghetti qui tire son nom du fait que ce
jour-là la cuisine est simplifiée pour que chacun puisse participer au repas commun. Là, les décisions des engagés sont mises au débat. S'il y a trop de réticences, trop de demandes d'amendements, les engagés doivent remettre la question sur le tapis à la réunion mensuelle suivante. Sauf cas d'urgence, la prise de décision a donc lieu en trois temps : proposition de la «réunion du mois» des engagés, appel à la discussion lors
de la réunion spaghetti, décision définitive des engagés. Un autre type de réunion a été mis en place depuis 1981, les réunions «source». Elles ont lieu un jeudi après-midi par mois et permettent l'approfondissement d'un thème choisi. Cela peut être une réunion interne à la Poudrière, notamment pour débattre de règles mises en place par les anciens avec les nouveaux, mais également l'occasion de recevoir un invité extérieur sur un thème de société, d'actualité. Elle est ouverte aux personnes qui ont au moins un an dans le groupe et sont le lieu de débat moral de la Poudrière.

Parmi les décisions historiques, dans les années 60, il y a eu le refus des drogues au sein de la communauté. La raison : un seul cas dans le groupe peut en faire (re)chuter de nombreux autres.

Être visible de l'extérieur

Alors que certains groupes s'enferment sur eux-mêmes, la Poudrière a toujours affirmé sa volonté d'être visible de l'extérieur. Pour cela, elle a voulu développer différentes formes de travail qui soient «honnêtement» rentables et qui répondent à des besoins. Constatant que de nombreux pauvres doivent déménager dans des conditions difficiles du fait du prix des déménageurs professionnels, c'est dans ce
créneau que s'est le plus développé l'activité de la Poudrière. Les tarifs proposés ont été le résultat d'un compromis avec la profession. Pour ne pas faire de la concurrence déloyale, il a été convenu que les prix seront proportionnels aux revenus : pour les plus pauvres, le déménagement peut être gratuit, si une société ou une famille aisée fait appel à la Poudrière (et c'est courant), elle paiera le même prix que chez un professionnel. Ces différents prix permettent d'assurer la rentabilité «honnête» de l'activité. De plus, ce travail extérieur a un rôle idéologique : «voulant être le signe de contradiction et de contestation, la communauté ne peut contester que ce qu'elle connaît. 

Dès lors, dans la mesure où ce n'est que par le travail que la communauté pourra connaître de l'intérieur une situation qui lui est étrangère, la communauté doit accepter ce travail-là, au risque d'être incomprise par certains, en étant consciente du danger qu'il peut y avoir à être entraîné dans un processus de 'récupération'». Pour cela «La communauté refuse de participer aux travaux créant de faux besoins (publicité), aux travaux des organisations répressives ou de discrimination, ainsi qu'aux travaux concernant les forces années, les groupes de pression, les tentatives d'exploitation des travailleurs (bris de grève). Un travail est terminé quand une partie de la communauté n'est plus d'accord pour l'assumer» (5).

 

 

La rotation des tâches

La rotation des tâches, dans la mesure du possible, est souhaitée. L'organisation des équipes se fait chaque soir en fonction d'un «carnet des travaux». La répartition se fait dans la salle commune après le repas. Du
fait de la principale nature des travaux (déménagements), cela conduit à un partage des tâches pour le moins sexué, les femmes se retrouvant à préparer les repas, à faire les ménages, la lessive, etc. Pour limiter cette
séparation du travail, le petit déjeuner est préparé par tous, à tour de rôle, et le week-end, c'est en principe les hommes qui cuisinent... mais ils font souvent valoir leur incompétence. cette situation évolue progressivement : des femmes peuvent conduire les camions de déménagement et elles se sont révélées à 1'usage excellentes dans la restauration des meubles, le recyclage... où elles sont plus rapides que les hommes. Mais comme le disait le Père Léon en 1988 : même s'il y a nécessité de faire baisser les barrières entre hommes et femmes, il faut tenir compte de la force des personnes et de leurs différences.
Les femmes ont le même poids que les hommes dans les décisions.

L’éducation des enfants

Le débat sur l'équilibre couples-personnes seules a permis de définir assez rapidement les lignes directrices concernant l'éducation des enfants. La primauté, quant à l'éducation des enfants, va à la famille. Cependant la communauté est bien présente. Les horaires et les programmes de la Poudrière se décident en tenant compte de la place importante des enfants : leur place dans la communauté, leurs études, leurs jeux, leurs sports, etc. Des personnes sont choisies pour suivre particulièrement ces questions. Un équilibre est difficile entre les besoins individuels de l'enfant, les liens familiaux et les liens communautaires. Car si tous espèrent que les enfants porteront plus loin l'esprit communautaire, ils reconnaissent que «l'enfant n'appartient ni à ses parents, ni à la société, ni aux autres ; il n'appartient qu'à sa future liberté» (6).

Un enfant est confronté à deux modes de vie différents : celui de la communauté - notablement avec les arrivées et les départs - et celui des copains d'écoles du quartier qui vivent différemment. En 1976-1977, un
projet d'école maternelle voit le jour au sein des murs de la Poudrière avec accueil d'enfants de la communauté et du voisinage. Mais l'expérience s'épuise rapidement.

Reprise d'un centre Emmaüs

Dès 1962, la communauté a la visite de l'Abbé Pierre. C'est le début de longues relations  fraternelles avec le réseau Emmaüs même si les principes de fonctionnement sont fondamentalement différents. Dans les communautés d'Emmaüs, exclusivement masculines, des personnes en difficulté sont encadrées par une direction de personnes qui elles ne sont pas en difficulté. Il y a une hiérarchie que l'on ne retrouve pas à la Poudrière.

La direction prend seule les décisions. Aucune réunion collective : chacun est chez soi devant sa télé, ou au bistrot. Souvent le responsable n'habite pas sur le site. En 1975, une communauté Emmaüs située à Drogenbos, dans la banlieue de Bruxelles, est en grande difficulté de par le manque d'un animateur. Une reprise par la Poudrière est envisagée. Il s'agit d'un foyer d'accueil situé dans une zone industrielle. Une ancienne usine reconvertie en lieu de vie cernée par une autoroute, un chemin de fer, une centrale thermique et ses tours de refroidissement et seuls cinq compagnons d'Emmaüs vivent en ces lieux. La Poudrière accepte la reprise du Centre en y adaptant ses propres règles de vie. Après la surprise initiale et le départ d'un compagnon d'Emmaüs, les autres sont plutôt satisfaits de cette nouvelle ambiance. La Poudrière entre alors dans le réseau des communautés d'Emmaüs (actuellement 353 communautés dans 41 pays), mais avec un statut particulier. Cela permet d'avoir de nombreux contacts enrichissants, même si souvent c'est la Poudrière qui va stimuler les autres groupes.

La rente invisible

En 1976, apparaît un autre débat fondamental: la communauté de par ses statuts crée des richesses qui appartiennent au collectif. Tant que vous restez dans la communauté, vous bénéficiez de cette relative richesse (en ayant un logement modeste, des repas, un peu d'argent de poche). Mais si vous la quittez, que se passe-t-il ?

Du fait des rotations importantes dans la communauté, la question s'est assez vite posée, sans que les réponses soient évidentes à mettre en place. Lors de l'entrée dans la communauté, les biens possédés avant sont conservés. Donc celui qui repart se retrouve dans une situation financière qui est au moins la même qu'avant. Si cela peut être satisfaisant pour une personne qui n'est pas en difficulté, que se passe-t-il pour celui qui arrive à la Poudrière sans rien du tout ?

Il a été décidé de donner à celui qui part, si son passage est suffisamment long dans le groupe, un pécule de départ qui lui permet théoriquement de se retourner : une somme équivalente à trois mois de salaire. Mais cette règle n'est pas intangible et chaque situation est étudiée au cas par cas.
Certains départs se sont préparés pendant plusieurs années : reprise d'un cycle d'études, acquisition d'un métier, formations spéciales...

Autre problème : pendant le temps de passage dans la communauté, il n'y a pas de salaires, donc pas de cotisations sociales et donc pas de cotisations pour la retraite. Si une personne âgée peut rester dans le groupe, elle peut avoir du mal à faire un projet extérieur surtout si elle est restée longtemps.

Maison d'Anderlecht - Des temps de réflexion

Depuis le début, chaque année, un voyage d'au moins un mois est organisé en été. C'est un moment particulier où l'on se retrouve dans un cadre qui n'est pas familier. C'est d'abord un voyage de découverte et de loisir qui favorise une meilleure connaissance entre les individus. Mais cela ne suffit pas à calmer les conflits.
Après des discussions sur les rythmes de travail, à partir de 1979, il est décidé que pendant le mois de janvier, tout le monde ne travaillerait qu'à mi-temps. Janvier devient un moment privilégié de repos, d'échanges, de réunions et de circulation entre les différents lieux de la communauté.

Chaque groupe distinct (trois à cette époque) pouvant avoir des démarches qui s'éloignent un peu, ce mois de janvier devient le moment où l'on redéfinit les objectifs, l'unité de la Poudrière.
Exemple de divergence observée progressivement: l'engagement militant. Dans les années 60 et au début des années 70, règne une certaine effervescence politique. Certains pensent qu'il est important que la Communauté soit impliquée dans les campagnes en cours, d'autres pensent que l'existence de la Communauté est déjà un acte politique et qu'il n'est nul besoin de militer en plus. Après des débats qui durèrent des années, c'est la deuxième tendance qui s'imposera, mais sans rejet total de l'activité militante : les locaux de la Poudrière serviront souvent à accueillir des groupes militants, de lieu de réunion, de point de rencontres pour différents réseaux...

Les débats ont fait le constat suivant : 
Après une longue période de vie communautaire qui s'est effritée au XIXe siècle avec l'apparition de la société industrielle, certains ont essayé de retrouver ce mode de vie à travers les communautés de travail, les coopératives, les mutuelles, puis ceci s'est bureaucratisé à outrance jusqu'à aujourd'hui. Dans un deuxième temps, c'est la voie du syndicalisme qui s'est le plus développée mais les syndicats n'ont jamais réussi à créer la «démocratie participative», arrive alors le temps des partis politiques pour «prendre le pouvoir», mais là aussi l'échec est flagrant. La nouvelle économie sociale qui se développe à partir des années 60 et dans laquelle la Poudrière est partie prenante, en revient donc à recréer des liens sociaux par différents moyens (associations, comités locaux, communautés ... ) sans attendre un hypothétique 'Grand Soir'. C'est ce qui se regroupe aujourd'hui sous le terme d' "alternatif".

A partir de 1993, la Poudrière participera à de nombreux débats et rencontres de la mouvance alternative wallonne. L'engagement militant est fondamental. Si deux tendances ont toujours existé (s'engager dans la politique et prendre des responsabilités dans un parti ou être présents dans la société civile), pour la communauté, l'utopie est un programme. Les engagements sont multiples, soutenus et partagés. Ils sont aussi une formation permanente, sans oublier l'accueil qui est de loin le premier engagement extérieur.
Ce débat sur l'engagement militant n'empêche pas des formes de solidarité :
accueil d'immigrés en difficulté, collecte de matériel pour le syndicat polonais Solidarnôsc, échange avec les kibboutzim, en perte d'idéal en Israël, participation au rapport général sur la pauvreté, à un rapport sur
la santé mentale et l'exclusion, recherche sur les entreprises sociales, accueil des marches européennes contre le chômage, participation à l'European Anti Poverty Network, relais des campagnes contre l'AMI, relais d'AITAC, etc.

En 1982, en lien avec un groupe ATD-TiersMonde, sympathisant, une opportunité se présente pour acheter une ancienne cimenterie à Péruweltz, près de la frontière française. Un groupe s'y installe à partir de 1983.
Une organisation de collectes en solidarité avec l'opposition polonaise leur fait rencontrer à Vilvorde, ville flamande au nord de Bruxelles, les propriétaires d'une ancienne usine. Cette usine deviendra un nouveau lieu
d'implantation de la Communauté à partir de décembre 1983. Cela ne se fera pas sans mal du fait de la question linguistique.
C'est alors le maximum de l'extension géographique de la Communauté : cinq lieux et une centaine de personnes. Pendant les dix années suivantes, la situation évoluera peu. La communauté a trouvé sa vitesse de croisière.

La succession

Au 31 décembre 1995, il y a 104 membres permanents (72 hommes et 32 femmes) (7). Ils sont présents sur cinq sites : Bruxelles, Rummen, Anderlecht (qui remplace Drogenbos suite à une expulsion/relogement en 1988), Vilvorde, Péruwelz. C'est alors que meurt le père Léon et que se pose la question de la redéfinition des rôles. Les rôles du père Léon sont alors séparés.

Jacques aura la charge de l'accueil des nouveaux et des relations extérieures, Vanni devient le responsable communautaire (maintien de l'unité) et Dominique prend le rôle de l'animation spirituelle. Cette dernière activité est particulière dans la mesure où elle ne concerne qu'une partie des poudriériens. Si Mgr Gaillot aime à venir se loger à la Poudrière lors de ses passages à Bruxelles, le lieu s'est, toutefois, éloigné de la
doctrine officielle.

Quarante ans après, un exercice de mémoire a semblé nécessaire et dans un ouvrage relativement complet - mais désordonné - Max Delespesse, un ami de longue date, observateur de l'extérieur, a essayé de retracer les différentes facettes de cette communauté hors du commun (1). Partie d'un milieu religieux, rigide dans bien des aspects vu d'aujourd'hui, la communauté de la Poudrière, confrontée jour après jour à la réalité, a su prendre les virages nécessaires pour être aujourd'hui un lieu alternatif de la capitale belge.

Michel BERNARD (Revue SILENCE - 1997)

Contact : Communauté de la Poudrière, 60, rue de la Poudrière, 1050
Bruxelles, tél : 00 32 25 12 90 22.


(7) 1 0 enfants de 0 à 9 ans, 6 adolescents de 10 à 19 ans, puis 19 adultes entre 20 et 29, 21 entre 30 et 39, 22 entre 40 et 49, 12 entre 50 et 59, 11 entre 60 et 69, 3 ont plus de 70 ans. Il n'y a que 5 femmes de plus de 50 ans.

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