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Naissance et maternité libidinales

(Texte écrit par la communauté libertaire Los Arenalejos) - (Malaga)

Lorsque nous avons refusé, plus par sensibilité que par rationalisation, l'asepsie de l'hôpital et, par conséquent, la voie de la médicalisation pour l'accouchement, nous ne savions pas jusqu'à quel point cela changerait nos conceptions relationnelles entre adultes et enfants et, par ricochet, entre adultes. Cela nous a permis de mieux comprendre nos propres limitations, donc de mieux nous tolérer d'une part, mais aussi de mieux les travailler d'autre part.

Face à l'arrivée de la vie, face au refus de l'inhumain des hôpitaux structurés pour médicaliser et robotiser le double phénomène accouchement /naissance, nous avons choisi la maison, la relation, l'alternative. L'accouchement n'étant pas pour la mère un acte médical, mais part entière de sa sexualité. La naissance n'étant pas pour l'enfant traumatisme et souffrance mais une épreuve, sans doute la première, et, en tout cas, certainement la plus importante.

Nous avons découvert que la maternité pouvait signifier plaisir, que l'accouchement pouvait être vécu dans la jouissance et non dans la souffrance lorsqu'on se laisse aller au libre arbitre de l'instinct qui, de lui même, nous indique la marche à suivre. Ensuite, il est réconfortant de constater que le nouveau né s'en porte beaucoup mieux. En fait, il s'agit de sa première relation qui, comme pour la mère, est sexuelle au sens le plus large. Une sexualité qui n'intéresse pas les marchands, soit dit en passant. À partir de la conception, il n'y a pas de dépendance du fœtus puis du nouveau né vis à vis de la mère, comme on veut toujours nous le faire croire, dans l'obsession des hiérarchies, mais interdépendance, inter-jouissance, car c'est le plaisir qui guide la vie. Faire de l'accouchement un acte essentiellement douloureux et faire que nous naissions d'une mère endolorie, frustrée, donc pas disponible, c'est le résultat d'une stratégie millénaire de notre civilisation pour court-circuiter le désir et la pulsion qui anime la vie, selon le principe du plaisir.

La manipulation de l'accouchement/naissance

.Tout cela dans le but de manipuler le moi primaire des êtres après leur naissance. Pour ce faire, on a éliminé la mère libidinale, en robotisant les fonctions reproductrices du corps féminin. La femme occidentale est héritière de Judée et de Grèce qui ont organisé la reproduction humaine en soumettant la femme et en dégradant la maternité. Elles ont converti la maternité en un viol du corps féminin, réprimant systématiquement la sexualité et plus concrètement la sexualité utérine. « La femme actuelle est socialisée dans la rupture psycho somatique entre la conscience et l'utérus » (Merelo Barberà, 1980).

Pendant l'accouchement, le nouveau né perd la relation harmonieuse avec son milieu. Il souffre de compression et d'asphyxie. Ce sont en général ses premières souffrances d'angoisse, de peur et de perte de confiance en son entourage, ce qui entraîne un manque au niveau de sa perception de l'entraide. La sensation et le sentiment de carence, dus au manque d'harmonie initiale, font leur apparition. Tout comme l'angoisse, la douleur et la peur sont très importantes (beaucoup de nouveau nés en portent les marques). La méfiance et la peur de revivre cette expérience laissent aussi leurs traces dans le moi primaire.

L'accouchement dans la douleur et sans désir maternel constitue le début de notre socialisation dans le monde patriarcal. Une fois coupée la dynamique produite par l'interaction libidinale et rompu l'accouplement mère-bébé, se sentant en quelque sorte "orphelin", le petit être humain est pris dans une spirale de carence et de peur de manquer. Cette peur ne lui laissera d'autres options que de vivre dans la soumission et l'appropriation des êtres et des choses, s'adaptant ainsi "au principe de réalité". On est en droit de penser qu'il s'agit là de la genèse de l'état de soumission inconsciente, le premier maillon de la chaîne. Est ce la "malencontre" dont parle La-Boétie ?

Tout ne s'arrête pas là, la suite est tout aussi importante. La souffrance du nouveau né, on l'accentue en niant l'accès au corps tant désiré de la mère. Lui, ce qu'il veut, c'est continuer à écouter le bruit du cœur, téter le colostrum, puis le lait, être au chaud, peau contre peau. En fait, la séparation même momentanée entre la mère et le nouveau né, comme chez tous les mammifères, c'est la destruction de "l'empreinte".  C'est cette "empreinte" qui permet, à travers tout un processus hormonal, la reconnaissance libidinale instinctive, de la part de la mère, des désirs du nouveau né puis du bébé. La mère devient alors le milieu idéal où le bébé développe la production de ses propres désirs, la pulsion de recherche du bien être, le développement du moi primaire.

Cette courte période suivant immédiatement la naissance, si elle est manquée, aura des conséquences néfastes pour la mère et le nouveau né qui "perd son milieu naturel" et la confiance ; la mère ne reconnaissant plus les désirs du petit. Elle rejette alors libidinalement le bébé pour le reprendre avec un amour intellectuel, représentatif, plus qu'émotionnel. Elle lui donne à manger selon les diktats de la science pédiatrique et de l'organisation sociale, c'est à dire qu'elle lui évite la faim et le froid, couvre ses nécessités mais abandonne le petit dans la solitude. Elle devient insensible à ses pleurs et à sa souffrance. Pour elle, ce sera la dépression post-partum considérée normale. Donc, bien avant la raison d'État ou l'accumulation du capital, il y a la raison de l'adulte qui affirme que  « il est normal que les enfants pleurent » ou qu'ils sucent une sucette en plastique.

Les frustrations primaires sont la forge de l'être humain dans cette société. L'accumulation de rage, de colère, etc. que commence à emmagasiner le nouveau né, débouche sur ce qu'on appelle Thanatos inné qui, nous le voyons bien, n'a rien d'inné. Cela n'est pas nouveau, c'est l'ordre patriarcal qui s'est imposé souvent à feu et à sang, détruisant les autres formes d'organisation sociale pacifiques, matriarcales. Tous les peuples guerriers (Spartiates, Sioux, etc.) ont pratiqué une destruction systématique de l'empreinte (sans doute par connaissance empirique) d'une façon ou d'une autre mais dans un même but : augmenter l'agressivité de leurs combattants.

Chez les Juifs, un rite instituait la "purification" de la femme juste après l'accouchement. Chez les Grecs, les femmes de l'élite dominante cherchèrent des Doulas pour les remplacer dans la fonction maternelle. Il en est de même dans nos société où ce sont les "sciences modernes" : médecine, psychologie, etc., mais aussi l'État (éducation) et la publicité qui se chargent de dévaloriser cette fonction, de la banaliser ; à tel point que la sexualité ne devient que génitale, et les normes progressistes adoptent un point de vue patriarcal sans le savoir. Car même si le souci du "géniteur" de se rapprocher davantage du nouveau né constitue un progrès dans l'égalité des sexes, il n'en demeure pas moins que "prendre" la place de la mère constitue un acte patriarcal. Car enfin si nous parlons de libre arbitre, il suffirait de dormir nus côte à côte. On s'apercevrait que le bébé n'hésite pas un seul instant pour diriger sa libido. Ça, c'est le respect des différences et la complémentarité des sexes, le plus fondamental déterminant pour le nouvel être humain. Bien sûr, pour cela, il nous faudra perdre la peur de la mère étouffante et viser à ne pas l'être en reconsidérant sa propre histoire.

En tout cas, tout tend à démontrer tant dans la pratique que dans l'étude des peuples pacifiques et sans hiérarchie que la satisfaction des désirs biologiques est ce qui fait la première condition de la sociabilité véritable d'un être humain. Cela va encore bien au delà de ce que pensait Reich, le précurseur, puisqu'il s'agit de laisser libre cours à la sexualité dès le départ sans qu'un manque à la base ne vienne fausser les pulsions ultérieures et entraîne ce "vide" si nécessaire à la société de consommation. Pour bien comprendre l'importance et le déterminisme de ces premiers instants de la vie et des trois années qui suivent chez l'être humain, il convient de comprendre notre nature première (la seconde étant la culture). C'est à dire, au départ, notre biologie. C'est Henri Laborit qui le mieux nous a fait comprendre ce mécanisme : « Pour l'animal comme pour l'homme, le premier objet à construire est l'individu lui même. L'élaboration du schéma corporel demande quelques semaines à quelques mois chez l'animal, deux à trois ans chez l'homme. Cette élaboration précoce est indélébile, d'où l'importance du rôle de l'environnement au cours des premiers mois pour l'animal, des premières années pour l'homme. À ce stade, le cerveau est encore plastique et immature. Cette période, c'est la période dite de l'empreinte durant laquelle d'innombrables synapses font leur apparition en fonction du nombre et de la variété des stimuli tandis que d'autres inutilisés disparaissent ».

Des recherches toutes récentes vont encore plus loin quant à l'interaction mère nouveau né au niveau cérébral. Ainsi Myran Hofer de l'Institut psychiatrique de l'État de New York informe que la mère fournit ce qu'il appelle « les modulateurs occultes » du nouveau né, en le berçant, l'alimentant, le regardant, le caressant. Pendant les premiers six mois de la vie, « le bébé établit une représentation mentale de sa relation à la mère », dit-il. «Les interactions régulent les mécanismes neurologiques de l'enfant pour son comportement et pour les sentiments qui commencent à se développer à ce moment [...] Il peut y avoir une période cruciale pour le développement émotionnel entre huit et dix huit mois, affirme Géraldine Dawson, c'est dans cette période que les enfants apprennent à réguler leurs émotions».

Lorsqu'on sait que ces circuits émotionnels s'établissent aussitôt et de façon permanente, on comprend qu'on puisse parler d'œdipe, de parricide, de thanatos et de pulsion de mort, mais c'est seulement l'expression de la souffrance et de la révolte du bébé. Il devient donc urgent de reconsidérer cette interrelation mère enfant, des mœurs et des structures qui les déterminent, surtout de la part des libertaires.

Deux précisions toutefois pour éviter toute susceptibilité "bienveillante" : il ne s'agit pas d'écarter l'homme de cette relation, bien au contraire, mais de tout mettre en œuvre pour favoriser en priorité l'accouplement libidinal mère enfant, puis permettre le continuum jusqu'à ce qu'autonomie s'ensuive. Ce couple émotionnel se diluant petit à petit, d'autant plus vite que plus de richesse environnementale de temps et d'espaces lui seront fournis. L'autonomie forcée n'étant en fin de compte que frustration et dépendance intériorisées, une sorte d'attache psychique permanente.

L'effort des deux sexes, c'est l'entraide dans la richesse prodiguée par les différences, pour restructurer des espaces où les femmes puissent développer leur maternité libidinale là et partout où elles l'entendent : à l'atelier, dans les champs, à l'école, etc., sans qu'elles soient coupées de leurs centres d'intérêt mais aussi sans obligation d'être productives. Tout cela devrait s'accompagner de la création d'un archétype différent de la femme, mais aussi de la maternité. Nous, femmes et hommes, devons développer un symbolisme nouveau où le sentir est quelque chose de concret, proche, uni au naturel, aux formes perceptibles.

En fait, seul un ensemble de facteurs cohérents visant un changement radical vers une société libertaire pourra permettre une maternité libidinale où hommes, femmes et enfants pourront enfin se réaliser dans leurs différences.
On a souvent dit que la femme est plus près de la nature, et que la mort de la mère signifiait la mort de la nature. C'est un symbole qui n'est peut être pas vide de sens.  Cela a certainement quelque chose à voir avec un instinct plus développé chez la femme étant donné son cycle hormonal lunaire et sa capacité à donner la vie. En tout cas, c'est cette expérience de maternité qui nous a le plus bouleversés, celle qui nous a permis de comprendre, de palper le message de Murray Bookchin et la justesse de sa conception de l'écologie sociale.

Car enfin, c'est vrai qu'il y a une intelligence dans la nature, qui nous procure cette incroyable capacité de mettre au monde un nouveau né dans les meilleures conditions pour en faire un être comblé donc sociable, dès le départ, avec une inégalable joie de vivre. Ce n'est pas notre intellect lorsqu'il est coupé de notre corps, autrement dit, ce n'est pas notre cortex associatif, conceptuel, le dernier né de l'évolution humaine, c'est surtout notre système nerveux primitif, le plus ancien, et dans une moindre mesure le système limbique, siège de l'apprentissage qui en est le moteur.

Notre système nerveux primitif, appelé aussi reptilien, c'est le siège de l'instinct, un mot fort mal interprété, à l'image de la nature perçue comme violente, agressive, alors que sa fonction c'est :

v     Le comportement d'approche et la satisfaction des nécessités biologiques manger, boire, dormir, reproduire l'espèce.

v     Le comportement de fuite et de lutte suite à un stimulus adverse. Il peut se manifester par une agressivité défensive, la seule agressivité innée.

Les autres comportements comme l'angoisse d'accaparer, l'égoïsme, la méfiance, le sentiment de propriété, l'autoritarisme ne sont que le résultat d'apprentissages (carences, expériences négatives, etc.) dès la naissance surtout et peut être même avant.

C'est ainsi que Bookchin rejoint Laborit lorsqu'il dit « Ce que nous renions trop souvent comme phase intuitive de la connaissance est en fait la vérité que notre animalité octroie à notre humanité et le stade embryonnaire de notre développement adulte ».  Se réconcilier avec notre instinct, c'est donc se réconcilier avec notre nature profonde, première, respecter et laisser s'exprimer tous les niveaux de l'évolution de la vie à travers nous, vers plus de complexité, de création, donc de liberté. L'être humain étant la nature prenant conscience d'elle même.

Pour ce faire, il nous faut développer une socio-culture (espèce de seconde nature) capable d'humaniser, voire de potentialiser la fonction conjointe des trois cerveaux pour l'épanouissement de chacun d'eux.
 L'écologie sociale c'est ça : la réconciliation de la nature et de la culture, cette dernière aidant la première à libérer ses potentialités.
 Il est vrai que nous avons surtout insisté sur un aspect de la socio-culture à développer, celle qui nous a le plus frappés et servis pour comprendre nos comportements, celui qui est le plus susceptible de susciter en nous toutes et tous un changement de mœurs et de mentalité, à savoir ce que M. Bookchin appelle «la biologie de la socialisation humaine». Nous aurions pu tout aussi bien vous parler dans la foulée de notre choix de ne pas envoyer les enfants à l'école et d'utiliser des ancrages affectifs possibles dans un continuum de concept pour apprendre. Nous aurions pu vous parler de notre vécu en ce qui concerne notre corps, son intelligence psychosomatique pour rétablir la santé, ce qui nous a conduits, à partir du rejet de la médecine et de sa conception manichéenne et pasteurienne du microbe, à l'autogestion de notre santé. Nous aurions pu parler du bien fondé de notre choix de nous établir à la campagne, même si ce choix était inconscient au départ ; car comme dit Laborit « La ville n'est pas un organisme, mais elle représente un des moyens utilisés par un organisme social pour contrôler et maintenir sa structure ».
 Nous aurions pu vous parler de notre choix en agriculture, d'agriculture biologique et de permaculture, notion issue des travaux de Kropotkine et qui nous amène au concept d'écosystème avec communautés humaines intégrées et technologies douces.
 Nous aurions pu insister davantage sur nos difficultés relationnelles qui nous ont fait prendre conscience de l'impact de l'intériorisation des valeurs patriarcales et capitalistes. Puis de comment on essaye d'y remédier par une recherche sur la communication, c'est à dire la première mise en commun sans vainqueurs ni vaincus.
 Car c'est bien ça le résultat de notre expérience : il ne pourra y avoir d'écologie véritable sans relations qualifiantes pour tout le monde, en commençant par la première, mère-bébé, sans un bouleversement des structures sociales qui permette à chacun de se réaliser à travers tous les autres dans la complémentarité des différences, dans cette société qui induit l'inégalité des égaux.

Los Arenalejos   -  29567 Alozaina (Malaga)

Texte extrait de "La culture Libertaire" éditions ACL, 1997

ISBN 2-905691-48-4

http://perso.wanadoo.fr/libertaire/archive/98/210-oct/arena2.htm

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